« Les femmes de 50-60 auraient besoin d’un homme de 30 ans »
Psychiatre et sexologue mondialement réputé, Willy Pasini se penche depuis plusieurs décennies sur les questions relevant de l’amour, la séduction, le couple et le désir. Dans son dernier ouvrage (1), il explore l’univers très complexe de la sexualité féminine, depuis les différents aspects du désir jusqu’aux multiples types d’orgasme, en passant par les fantasmes, la perversion, la transgression et l’homosexualité.
Le Vif/L’Express : La libération sexuelle remonte à un demi-siècle. Alors, pourquoi
tant de femmes vivent-elles encore dans une « misère » sexuelle ?
Willy Pasini : La Bible et la mythologie contiennent de nombreux modèles féminins négatifs : Eve, Bethsabée, Dalila, Salomé, Pandore, Méduse… La Bible nous a transmis deux modèles de femmes : la Vierge Marie, porteuse de toutes les vertus, et Marie-Madeleine, incarnation du vice. Ces deux modèles ont survécu pendant des siècles dans notre culture occidentale, empreinte de catholicisme. Certes, aujourd’hui, la « prison extérieure », à savoir l’ensemble des règles et des conventions sociales, n’existe quasiment plus. Cela dit, toute une série de » prisons intérieures » n’ont pas été abolies. Dans environ 60 % des cas, elles sont liées à la personnalité de la femme et à son éducation. Il s’agit de grands principes qui ont été inculqués aux femmes et leur imposent de s’y conformer. Ils provoquent des conflits intérieurs, des blocages sexuels ou des problèmes relationnels avec les hommes. On peut citer des femmes qui n’éprouvent pas de désir car la famille plaçait le devoir avant le plaisir. Il y a des familles qui valorisent l’intelligence. On recherche le plaisir intellectuel et on élimine le plaisir corporel. Il y a, aussi, des femmes qui ont un blocage par rapport au plaisir sexuel. Elles sont heureuses dans la vie, en pratiquant une activité sportive exaltante comme le bateau, par exemple, mais pas au lit.
Dans le passé, la sexualité féminine a toujours fait peur aux hommes. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ce n’est pas la sexualité qui fait peur, mais la femme. Avant, la sexualité était procréative et l’homme ne voulait pas élever les enfants illégitimes. Aujourd’hui, c’est le désir de la femme qui fait peur. Dans le passé, l’homme avait le monopole du désir. De nos jours, le plaisir se partage et la femme en prend la moitié. L’homme est un prédateur, il fonctionne avec son cerveau primitif. Les hommes changent plus lentement que les femmes, ils ont besoin d’une génération pour s’adapter. Certains hommes n’ont pas suivi cette évolution ou se sont inventé d’autres désirs. Ils préfèrent, par exemple, jouer au tennis. L’homme aime la femme active au bureau mais pas au lit. En Suisse et en France, et je suppose que c’est pareil en Belgique, le désir masculin à tous les âges est la première cause de consultation chez les sexologues.
L’intimité sexuelle (le véritable acte sexuel) n’a pas changé en soi. Mais les personnes qui la partagent ont évolué. Comment ce changement se traduit-il chez la femme ?
L’intimité se transforme en « extimité ». Les jeunes femmes en quête de sensations fortes préfèrent se montrer nues plutôt que de vivre réellement la sexualité. Aux Etats-Unis, 40 % des femmes pratiquent le sexting qui consiste à envoyer des images sexuellement explicites de soi-même sur Internet. L’extérieur est plus important que l’intérieur. Les femmes veulent être vues. En revanche, chez l’homme, l’exhibition n’existe plus. Les femmes se montrent plus facilement que les hommes dans leur intimité.
Pourquoi, sur le plan sexuel, la femme est-elle supérieure à l’homme ?
Tout d’abord, on peut parler d’une supériorité biologique. Une petite fille de 7-8 ans peut avoir un orgasme clitoridien, ce qui n’est pas possible chez un petit garçon. Quand la fille devient grande, elle peut avoir des orgasmes répétés. Théoriquement, elle peut en avoir cinq : clitoridien, vaginal, anal, utérin et l’orgasme provoqué par la stimulation du point G, une protubérance de la taille d’un pois chiche. Le point G est une découverte récente, confirmée par les scientifiques. Il s’agirait d’un vestige de prostate féminine. Donc, oui, la femme est supérieure à l’homme car elle a une plus grande panoplie de réponses. L’homme ne connaît qu’un seul orgasme.
A quoi sert l’orgasme féminin ?
C’est une question difficile pour la science. Pour certains scientifiques, il ne sert à rien. D’autres disent qu’il éveille chez la femme le désir sexuel. Sur le plan purement biochimique, l’orgasme sert à la procréation. Les contractions utérines attirent le sperme vers le haut. Une femme orgasmique est plus facilement procréative.
Lors de l’orgasme, le cerveau intervient différemment chez l’homme et chez la femme...
Grâce à l’imagerie cérébrale, on peut voir le chemin qui relie le périnée au cerveau. Chez la femme, lors d’un acte sexuel, les aires du cerveau qui » s’allument » sont plus larges et plus impliquées. On a pu démontrer que la zone la plus impliquée, c’est l’aire émotionnelle. La sexualité féminine est liée à la relation interpersonnelle et à l’estime de soi. Autrement dit, le désir de la femme se fonde non seulement sur des mécanismes purement instinctifs, mais aussi sur des mécanismes cognitifs complexes. Chez l’homme, il est uniquement biologique.
Selon vous, la sexualité n’a pas d’âge et les femmes sont plus vaillantes sur le plan sexuel que les hommes…
Dans le passé, on pensait que la ménopause signait la fin de la sexualité. Il s’agit d’un point de vue culturel et sociétal et ce n’est pas vrai. Il y a une différence entre la culture et la biologie. Sur le plan biologique, le désir dépend de la testostérone. C’est le « moteur du désir » chez la femme. Or, la testostérone continue à être secrétée par les glandes surrénales. La femme de 50-60 ans aurait donc besoin d’un homme de 30 ans ! Pour faire simple : le problème de la ménopause chez la femme, c’est le mari.
Selon Elisabeth Lloyd, philosophe des sciences que vous citez, moins de 35 % des femmes atteignent l’orgasme vaginal. Quelle est l’explication scientifique ?
Le vagin, à part le point G, a très peu de points sensibles et de terminaisons nerveuses. C’est la raison pour laquelle l’orgasme vaginal est rare. La nature est bien faite. Si le vagin était pourvu de nombreuses terminaisons nerveuses, l’accouchement serait extrêmement douloureux.
Vous dites que les femmes qui souffrent d’anorgasmie ou d’absence d’orgasme et de plaisir sont plus nombreuses qu’on ne le pense. Pourquoi ?
A cause des « prisons intérieures ». Les femmes anorgasmiques n’ont pas reçu d’éducation sentimentale et sexuelle adéquate. L’anorgasmie est liée à la personnalité de la femme, à d’éventuels traumatismes subis dans le passé ou à une identité incertaine. En Inde, les jeunes filles apprennent le plaisir et le désir. Dans la culture occidentale, il y a toujours une séparation entre Marie et Marie-Madeleine.
Quels sont les fantasmes des femmes ?
Ils ont beaucoup évolué au fil du temps. Les fantasmes ayant un fond sentimental sont toujours très courants, mais la palette imaginaire s’est beaucoup élargie. Le fantasme masochiste est le plus important, même si la femme n’est plus masochiste. Elle veut être violentée, prise par la force. Cela nous surprend beaucoup. On peut l’expliquer par le fait que la femme a été obligée de se soumettre à la violence pendant des siècles et cette soumission s’est inscrite dans son cerveau primitif. Pour preuve, le succès du livre Cinquante nuances de Grey.
Un mot sur l’homosexualité féminine. Un choix ?
Aujourd’hui, le sexe ne sert plus à faire des enfants, il sert à autre chose. Si la femme est déçue par l’homme, un peu macho, elle peut être attirée par la tendresse et la dimension érotique d’une relation homosexuelle. L’homosexualité féminine ou plutôt des contacts féminins sont en hausse. Environ 40 % des adolescentes se donnent des baisers, à l’instar du fameux baiser saphique entre Madonna et Britney Spears. On peut aussi parler d’une homosexualité occasionnelle ou sociale.
Votre conclusion ?
La femme un peu trop effrontée, qui a jeté aux orties toutes les croyances, idéologies et habitudes, se sent libre mais elle est seule. Je citerai l’exemple d’une fonctionnaire du Parlement suisse qui a posté sur Facebook des photos où on la voit nue. Elle a perdu son poste. Les filles qui font du sexting ne se rendent pas compte du danger qu’elles courent avec ces photos. C’est donc le côté négatif. Etre libre implique des risques. La liberté a besoin de berges, doit être canalisée, comme une rivière. Sinon, elle devient marécage.
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