Comprendre le développement cellulaire responsable de la croissance des cancers en étudiant l’huître

« C’est la première fois qu’on regroupe des biologistes marins et des chercheurs en cancérologie pour étudier certains mécanismes de l’huître », assure à l’AFP Charlotte Corporeau, du laboratoire Physiologie des invertébrés de l’Ifremer, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer qui coordonne le projet Mollusc, financé par la fondation Arc contre le cancer. Participent aussi l’Université de Bretagne occidentale (UBO), l’Inserm, le CNRS, l’Université de Paris Sud et le Centre méditerranéen de médecine moléculaire C3M.


« Ce programme ouvre de nouvelles pistes de recherche basées sur les mécanismes ancestraux de l’huître », souligne Catherine Brenner, directrice de recherche au CNRS, spécialisée en oncologie et maladies cardio-vasculaires. « Il y a des mécanismes communs entre l’huître et le cancer, c’est vraiment surprenant! »

Régulièrement étudiée pour comprendre les impacts de la pollution sur l’environnement du fait de son fort potentiel d’accumulation de polluants et de métaux lourds, l’huître n’avait encore jamais été scrutée pour ses similitudes avec l’homme en matière de développement cellulaire. Tout comme l’homme, le mollusque connait l’effet Warburg, du nom du biologiste Otto Warburg qui a identifié en 1930 ce phénomène de développement cellulaire responsable de la croissance des cancers. Il est pour le moment irréversible chez l’homme. Mais l’huître creuse parviendrait à le contrôler.

En laboratoire, les chercheurs de l’Ifremer ont démontré (Journal of Proteomics, 2014) qu’un stress de température bloquait le déclenchement de ce phénomène chez l’huître, une espèce qui contrairement à l’homme n’est pas capable de réguler sa température interne.

« Les gens doivent comprendre qu’il y a des choses à leurs pieds qui sont très surprenantes, les huîtres ne sont pas seulement bonnes à manger avec du citron! » s’amuse Charlotte Corporeau, tout en comptant méticuleusement les petites huîtres de moins de deux centimètres de long qu’elle vient de sortir d’une poche fixée en haut de l’estran, la zone de balancement des marées, sur un site ostréicole de la rade de Brest.

Tous les 15 jours, la biologiste va observer, compter et peser les petits animaux placés à trois endroits différents de l’estran, définissant ainsi leur période d’immersion. « Le but est de faire vivre ces animaux dans des conditions très différentes afin d’étudier leur capacité d’adaptation », explique la biologiste. « C’est comme si en bas d’estran les huîtres (qui se nourrissent du phytoplancton en suspension dans l’eau, ndlr) étaient vautrées dans un canapé en train de manger des chips, et tout en haut en train de faire du sport et à la diète », illustre-t-elle. Les premières seront en outre soumises à de moins fortes variations de température, car souvent immergées, que celles du haut.

Le projet Mollusc vise ainsi à valider l’hypothèse selon laquelle l’huître possède des mécanismes lui permettant de contrôler l’effet Warburg par la température. Dans un second temps, il s’intéressera au virus Ostreid herpes, à l’origine d’importantes vagues de mortalité dans les élevages. Ce virus est en effet capable de détruire la cellule de l’huître alors qu’elle est soumise à l’effet Warburg, en le détournant à son profit. En effet, il l’utilise pour assurer sa réplication jusqu’à la mort du mollusque.

« Les recherches sur l’huître menées par Charlotte Corporeau pourraient ouvrir des pistes inexplorées afin de trouver de nouvelles cibles thérapeutiques », se félicite François Dupré, directeur général de la fondation Arc.


Le monde marin intéresse de plus en plus les chercheurs en santé humaine du fait de sa richesse. Un colloque sur ce thème se tiendra à Brest les 8 et 9 octobre. Intitulé « Les espèces marines, réservoirs de molécules pour la santé humaine », il fera la part belle aux huîtres, mais aussi aux oursins, également étudiés dans la lutte contre le cancer, aux algues, qui pourraient fournir de nouveaux médicaments anti-cancéreux, ou encore aux vers marins comme l’arénicole, dont l’hémoglobine est capable d’acheminer cinquante fois plus d’oxygène que celle de l’homme.

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